There's no big bad wolf || Alistaire

La douleur ressemble à une brûlure. Une brûlure qui entaille la cuisse, la ronge de l’intérieur. C’est là qu’il m’a mordu, il y a encore la marque de ses crocs. Je voudrais avoir de la pitié - pour lui, pour moi. Il n’a pas fait exprès, n’est-ce pas ? C’est ce que je me répète sans cesse, en essayant d’y croire. Mais en vérité, je ne ressens aucune pitié. Juste de la colère.

—

Il n’a pas tant de souvenirs de sa vie d’enfant. Des souvenirs inventés, des souvenirs que l’on oublie, dont on n’est sûr ni de la date, ni de la véracité. Il est né en Écosse, il garde ses origines dans son accent. Une ville normale, une famille normale de la petite classe moyenne sorcière. Des sangs-mêlés en tant que père et en tant que mère, on ne se souvient plus de quand date le dernier moldu de l’arbre. On souffle qu’il s’agirait de son arrière-grand-père paternel, né-moldu possiblement mais que l’on a effacé avec le temps. Ce ne sont désormais plus que des histoires, qui n’ont plus une quelconque importance.

Il a eu une sœur plus jeune, de deux années seulement. Un frère également, plus jeune aussi de cinq ans pour sa part. Il est le plus âgé des fils, on le lui a souvent répété dans son enfance. Il se devait de montrer l’exemple.

—

- Tu as été malade une semaine durant. Tu délirais, étais fiévreux. Un miracle que tu sois encore en vie, qu’on dit. La bestiole qui t’a mordu a dû te refiler une quelconque saloperie.

Une quelconque saloperie…
Ce sont des moldus, qui m’ont recueilli, soigné, logé durant ma convalescence. La douleur à ma cuisse ne s’en va pas, pas plus qu’elle ne s’atténue encore. Je ne leur parle pas, mange à peine ce qu’ils m’offrent. Je regarde le plafond.

La prochaine pleine lune est dans trois semaines.

—

Poudlard est à moitié une libération. Pour souffler, quelques années avant que sa cadette ne le rejoigne. Il a attendu, devant l'assemblée des élèves, près de sept minutes alors - six minutes et quarante-cinq secondes - que le Choixpeau ne se décide. Il a longuement hésité, entre sa soif de connaissance et sa curiosité sans borne ; et sa patience, son amour du travail bien fait, sa persévérance. Il a longuement entre Serdaigle et Poufsouffle.
C’est la maison de l’aigle qui finalement l’emportera.

C’est donc vêtu de bleu qu’il déambulera les couloirs de l’école. Il fit honneur à sa maison, que l’on dit. Élève excellent dès lors qu’il fût intéressé par les cours présentés ; médiocre autrement il est vrai. On le dit polyvalent, on le dit rêveur ; on le dit rigoureux, on le dit lunaire. Déjà, il est ambivalent aux yeux d’autrui - autant admiré que moqué, autant seul qu’entouré. Il reste dans ses pensées et son confort, vit sur le fil et semble être comme les deux faces de la Lune.

—

Je m’enfuis une nuit où la lune est croissante. Le jour fatidique se rapproche lentement, la fatigue me courbe le dos et ma cuisse n’est pas encore parfaitement guérie. De retour sur le lieu de l'agression, aucun souvenir ne me revient. Du sang séché macule le sol, et la trainée laisse supposer que j’ai tenté de m'enfuir - ou qu’il m’a traîné sur le sol, qui sait.

Un miracle que je sois en vie, ont dit les moldus.
Ils avaient probablement raison.

—

La fin de sa scolarité est chaotique. On dit de l’air Benton qu’elle eût marqué l’histoire de Poudlard, lui-même l’a vécu. La folie douce du directeur, devenue folie violente ; l'extrémité de ses actes et de ses paroles. Il a décidé, après sa septième année, d’étudier les créatures magiques - il n’y a à peu près qu’elles qui eût entièrement éveillé sa curiosité. Douce utopie que de penser que le chemin serait pavé de roses. Il a fallu se battre, se battre pour qu’il puisse continuer, se battre pour qu'il puisse terminer sa spécialisation. Car évidemment, aux yeux du directeur une telle spécialité ne devrait nullement exister. Il tanga alors sur le fil de l’expulsion pour ses prises de position contre Benton ; et avec son professeur duquel il deviendra par la suite assistant, il parvint à terminer ses études, parmi même les majors de sa promotion pour ces années de spécialisation.

Il quitta Poudlard en 1918, la guerre des Moldus allait bientôt se terminer. Benton était décédé en fonction, un nouveau directeur arrivait à Poudlard.

—

Traces de lutte, de sorts lancés sur les arbres, esquivés par la bête. Qui est-elle, c’est une bonne question. Je ne l’ai jamais su, et n’ai pas vraiment cherché à le savoir depuis lors. Et on sait déjà comment s’est terminée la bataille.

Sous un buisson je retrouve ce que je cherche. Ma vieille baguette, achetée chez Ollivander’s le jour de mes onze ans. Probablement m’avait-elle échappé de mains lors du combat, et les moldus n’ont pas songé à la récupérer - heureusement, il est vrai. Je la regarde quelques instants, comme si elle pouvait m’indiquer la marche à suivre. En vérité, je ne sais rien - quoi faire, que faire, comment ni même pourquoi. Ce que je sais désormais, c’est que plus rien ne sera jamais pareil. Tout s’est brisé.

Alors d’un geste, je la brise à mon tour.

—

Il devint assistant - trop jeune encore pour qu’il puisse espérer se faire un nom dans ce domaine balbutiant qu’est la magizoologie. Son professeur se retira de l’école après le scandale Benton, il se décida à le suivre. Il a vingt ans et la vie s’ouvre à lui. Son premier voyage le mènera sur les frontières de la Russie, étudier les Pansedefers ukrainniens. Il partira à Hawaï, en Australie ou aux Etats-Unis.

Les travaux de son mentor, on souffle qu’il pourrait les continuer dès lors que la retraite arrivera. Il travaille pour son compte, mais également pour celui du Ministère. On le promet à un grand avenir.

—

Couper tous les liens, pour plus de sécurité. Me faire oublier, sinon on saura, on pourra découvrir. Oublier ma vie d’avant, effacer les traces. Ne plus exister, s’enfuir, s’enfuir. Ils me croient disparu, ou pire - mort, mort. C’est bien mieux comme ça.
Je suis désolé. Il faut que tu m’oublies.

—

Elle.
Elle, il l’a rencontrée à l’aube de sa vingt-troisième année. Il rentre chez-lui encore, de temps à autre. C’est à une époque de l’année où l’air est encore chaud, et où le soleil est encore éclatant. Elle vit près des Loch, et finit tout juste ses études à Poudlard. Elle est brune, habillée d’un regard noisette, et elle sent le miel chaud. Pour lui, l’amour a toujours été un phénomène mystérieux apparaissant qu’en de rares occasions, autant que ses envies physiques, sans se soucier du genre de la personne qui avait alors ses faveurs. Tandis qu’il s’est lové autant dans les bras de femmes que d’hommes, toujours des personnes d’une extrême importance à ses yeux, c’est avec elle pourtant qu’il se met à imaginer sa vie.

Il se rappelle encore de ces quelques mois passés ensemble, allongés dans les champs là où personne ne pouvait ni les entendre ni les surprendre. Il se rappelle des mots échangés, des banalités racontées, des rires et des baisers ; ils faisaient l’amour et il s’endormait alors dans ses bras. Il se rappelle de ces quelques mois de bonheur simple.

Il le lui avait promis : lorsqu’il rentrerait de son prochain voyage, il viendrait pour l’épouser. Un baiser pour ne pas oublier, une bague pour le lui prouver. A la fin de l’été prochain, il lui avait promis.

—

Désormais, cette vie n’est plus. Elle s’efface lentement, doucement ce que j’ai espéré s’envole pour ne laisser place qu’à un néant froid et inquiétant. Je ne suis plus moi, je ne suis plus lui. Ce que j’aimerais pourtant, revenir en arrière de quelques jours - pour ne pas se précipiter droit dans la gueule du loup. Mais il ne me reste plus qu’à m’enfuir - m’enfuir encore et pour le restant de ma vie. Je laisse ma baguette sur place, non-loin des traînées de sang.

La lune sera pleine dans quelques jours.


C’est des forêts du grand Est russe qu’Alistaire s’enfuit alors. Il a vingt-trois ans et sa vie s’écroule ; l’avenir - et il le sait - ne sera plus jamais le même. Disparu,  ou passé pour mort dit-on. Il parviendra néanmoins à revenir en Angleterre et vivra comme il le peut quatre années durant, enchaînera boulots dégradants pour lesquels il fût surqualifié. Ses absences répétées sans cesse éveilleront les soupçons, jamais il ne tiendra plus de six mois dans un emploi. Ses finances s’en font ressentir, son train de vie s’écroule et plusieurs fois il est alors découvert par ses employeurs.

Alors il s’enfuit, il s’enfuit encore et toujours.

Il coupe les liens avec tout le monde. Avec ses parents, avec sa fratrie. Avec elle, que jamais pourtant il ne parviendra à oublier - il garde encore la seconde bague de la paire autour de son cou, cachée sous ses couches de vêtements.


Lui, il saura tout. Toute sa vie, tous ses déboires, tous ses malheurs. Il saura, qui il est et qui il fût. Ce n’est pas grave, dit-il. Ce n’est pas grave. Quelques conditions néanmoins - par sécurité, n’est-ce pas. Alistaire les accepte toutes sans se poser plus de questions. On le promettait à un grand avenir, lequel fût arraché bien trop tôt par les circonstances.

Il a vingt-sept ans. Et il ignore comment sera l’avenir.