Encore en retenue ! (Monsieur Ingward) (Fini)

Les oreilles dressées, l’œil à l’affut, la grosse tête poilue du terre-neuve s’était redressée en entendant son nom être prononcé.  Un bâton. Un beau bâton. Un bâton qui attire l’œil. Un bâton pour jouer ! Spoutnik n’avait pas mis longtemps à se redresser sur ses quatre-pattes et à courir vers Sacha pour récupérer son Précieux. Une fois le demi-vampire rejoint, il se met à trépigner, à réclamer son attention (et le bâton). Ses grosses fesses s’étaient effondrées par terre et il s’était assis avec une grâce semblable à celle d’un pouf lâché sur le sol. Il remuait la queue, bien heureux d’avoir de la visite. Tant est si bien que sa langue baveuse se mit à pendre, alors qu’il tendait son cou pour recevoir moult caresse et signes d’affections.

Ils devraient venir plus souvent, les élèves. Spoutnik ne dit jamais non à des caresses. Encore moins à un bâton. Un aussi beau bâton. Le bâton ; son obsession.

« Spoutnik ! » Une voix retentit et appelle son chien à revenir. Ce fût ainsi que le Terre-Neuve faussa compagnie à Sacha et se mit à courir dans le sens inverse, afin de retourner avec ce dernier. Igor, ou plutôt Ingward pour les plus polis, était dehors. Il avait les yeux creusés par la fatigue. Plusieurs hypothèses sont possibles ; soit le professeur Grishin se débarrasse plus souvent de ses punitions en envoyant ses élèves vers lui, soit ses nuits sont courtes, car il ne trouve pas le sommeil après ce qui s’est passé récemment dans la Forêt, soit c’est autre chose qui le tracasse.
En tout cas, si l’on devait compter le nombre de fois où il a baillé depuis le début de ce récit, nous en sommes probablement à une petite dizaine. Malgré tout, il était toujours debout et il s’occupait de ses potions. Il était même possible de le voir contrôler l’eau de son puit et le débit à l’aide de sa baguette, afin de contrôler son arrosage à la goutte près.

Ou du moins, c’est ce qu’il faisait avant que Sacha ne l’interpelle. Quand il a entendu son prénom, prononcer dans son entièreté et son originalité, Igor a eu un soubresaut et cela a rompu son sortilège. Un “Splosh !” s’était entendre et les derniers filets d’eau qu’il dirigeait se sont soudainement écroulées ; sur le pauvre Spoutnik, ainsi que son maître en partie. Le chien, comme habitué, s’était ébroué pour se sécher un minima. De son côté, Ingward semblait ; pas réellement surpris de la réaction de Sacha. De cette excitation qui émane de lui. Plutôt surpris qu’il soit pile à l’heure, voir même un peu en avance.

« B-bonjour… Hum… J-je ne sais pas encore. Je n’avais pas réellement prévu d’avoir de la compagnie ce soir et on m’a prévenu qu’il y a … une heure à peine. J’aimerais éviter de t’emmener dans la forêt. Après ce qui s’est passé, j-j’aimerais ne pas me faire taper sur les doigts une fois de plus. » Il en a déjà trop dit.

Intérieurement, Igor se tape le front avec la paume de sa main. Il ronchonne, mais disons que c’est la faute de son dépourvu. Ce n’était pas encore totalement fichu. Il avait la possibilité de se rattraper. « Eh puis, une retenue n’est pas censée être un loisir ou rendre service. Alors si … Si je t’emmène dans la forêt, ça serait contreproductif avec toutes les autres fois où je t’en ai ressorti, hm ? »

L’ancien Serdaigle se met alors à réfléchir et à tenter de lui trouver une activité qui serait à la fois punitive et ludique. Une corvée en somme. En tournant son regard vers son chien et en voyant l’état de celui-ci, quelque chose de simple lui traverse l’esprit. Enfin “simple” ; tout est relatif lorsque l’on sait à quel point Spoutnik a horreur des bains ou des douches, or promenade. « Je sais, tu vas toiletter Spoutnik. Vous avez l’air de bien vous entendre. Je te conseille cela dit de mettre un tablier et de faire attention à ses yeux. »
Le Terre-Neuve ne flaire pas encore le complot qui est en train de se mettre en place pour lui faire sa toilette. Il se contente d’alterner son regard vide de chien fou entre son maître et Sacha, pressé et insouciant de savoir la suite du programme !

Ingward était soulagé de voir Sacha pas trop déçu de sa corvée. Bien sûr, ce n’est probablement pas le mieux qu’il espérait, mais le garde-chasse était assez ravi d’avoir pu réparer les pots cassés. Ravi, satisfait, voilà qu’il était rassuré. D’autant que son chien semblait être entre de bonne main, vu les précautions que prenaient le demi-vampire.
Spoutnik avait refilé à l’horizon, persuadé que Sacha était ici pour jouer avec lui toute la soirée. Il se précipita vers le bâton lancé et manqua même de tomber sur le départ. Il s’enfonça loin, trop loin pour être visible et laissant ainsi le temps nécessaire au retenu pour la préparation de son supplice.

Le garde-chasse n’était là que pour le surveiller. L’envie d’aider était grande, comme toujours, mais il devait résister. Sans quoi, ça n’aurait servi à rien de faire la leçon, si c’est pour réduire la pénibilité de celle-ci. « Je… Euh… J’ai… J’ai du mal à dormir. Mais d’-d’accord, je vais continuer mes occupations. » La faute à qui ou à quoi ? C’est une bonne question. Ingward n’est pas connu dans l’école pour être celui qui se lamente ou s’ouvre le plus. Il a toujours été extrêmement discret sur ses soucis et ses peines, si bien que personne ne le connait réellement. Sa servitude passe toujours au premier plan dans l’intérêt des autres, alors on en oublie presque de lui demander son nom de famille, qui est déjà un bel indice du milieu où il vient.

Il retourne sur son établi et à contre-cœur, le voilà à couper quelques feuilles de ses plantes pour ensuite les enfermer dans des récipients en verre. Une utilisation prochaine, sans aucun doute.

Une nouvelle question gênante tombe, plus embarrassante que la première visiblement, puisque Igor ressert son emprise sur son bocal en verre soudainement. « C’-c’est compliqué, mais euh … Oui, on peut dire ça. » Cette fois-ci, il se retient d’aller dans les détails. Il y a des secrets qui ne doivent pas être révélé. Enfin, il est persuadé que Zakhar s’en tamponne le coquillard, mais pas lui !

Ne pas se laisser faire, hein ? Si même un élève lui dit, c’est que vraiment ; ça craint…
La nervosité laisse la place à une sorte de mélancolie. Une douce tristesse, comme une peine sincère de cœur. Il desserre son emprise et son regard se perd dans le vague de la pelouse, à ses pieds. « Nous nous fréquentions lorsque nous étions enfant, car nos parents étaient proches. Ils s’entendaient bien, alors à force de se voir, on a fini par bien s’entendre aussi. Mon père refusait de m’envoyer à Koldovstoretz, car il voulait une école “d’élite”, alors j'ai été envoyé à Durmstrang, mais on ne s’est jamais réellement perdu de vu. Il a toujours été le premier à m’encourager, alors que je n’étais pas … très agréable à l’époque. On se battait assez souvent même, pour la compétition. Puis on a changé, je suppose. Je suis tombé malade et lui-aussi, d’une certaine manière. Je ne pensais pas le revoir ici. » À la fin, Igor relève brièvement son regard vers Sacha et il y a un bref sourire qui apparait, à mi-chemin entre la sincérité, l’envie de plaisanter et l’amertume.

Son regard est fuyant, honteux. Le plus triste dans cette histoire, c’est que Ingward ne semble pas réaliser le courage qu’il fait preuve et qu’il est l’une des rares personnes à oser tenir encore tête au Professeur Grishin. Au moins pour le raisonner. « Elle t’a vraiment tout raconter ? Oh la misère… » réaliste-t-il tardivement, en imaginant déjà que Morwenn n’avait oublié aucun détail, comme ce moment face à une meute de vampire où ce brave Ingward s’est totalement laissé envahir par la panique et a été incapable d’agir sur l’instant.

Tu parles d’un garde-chasse ! Je garde rien du tout, oui… Pas même les secrets.