La franchise de Morwenn était appréciable pour Zakhar. Le culot était une qualité à ses yeux et en effet, tenter de noyer le poisson ne mènerait qu’à rallonger cette entrevue, jusqu’à ce que la vérité sorte. Quitte à utiliser la torture pour cela. L’éclat de folie, qui se met subitement à apparaître dans les rétines de la jeune Serpentard, ne fait ni chaud ni froid au mage noir. Il l’apprécie, à sa juste valeur et il n’aide qu’à oublier, l’espace d’un instant, les origines bas-de-gammes de la sorcière face à lui. Le professeur se détend même en voyant cela, comme si cela le satisfaisait de voir autrui sombrer dans la démence, l’obsession et la soif de pouvoir. « Aaaah décidément… Les temps sont rudes pour les jeunes sorciers, si ceux-ci se complaisent à sonder les ténèbres… » soupire-t-il, alors qu’un sourire en coin apparaît.
Pensait-il réellement ce qu’il venait de dire ? Non. Il s’en fichait. Cela lui allait, même. « Tu ne peux pas t’imaginer à quel point je suis ; mitigé. J’aime ce que j’entends. J’aime ceux qui en veulent et qui assument. En revanche, que cela sorte de la bouche d’une zemlistya krov'… Meh. Je crois que c’est de la déception, je n’en suis pas certain. J’aurais aimé entendre ça de la bouche d’autres, mais ils sembleraient plus occupés à vouloir soigner leur image de sombre connard prétentieux plutôt que de démontrer une réelle détermination. »
Cette fois-ci, c’était honnête et sincère. Ce n’était pas agréable à entendre, mais pouvait-on reprocher à Grishin présentement de se jouer de Morwenn ? Absolument pas. Il n’y a que la vérité qui blesse et il adore meurtrir. Une pierre, deux coups.
Son attitude laisse néanmoins croire que c’est une pensée qui lui a échappé. Il ne regarde plus Morwenn, affiche un air désabusé exagéré et à la tête penchée en arrière. Cela dure l’espace d’un instant et finalement, il cesse de faire le guignol pour se reconcentrer sur la conversation. C’est même soudain, sans transition, rapide que cela en est troublant. Des deux, le mage noir était peut-être le plus fou, derrière ses airs arrogants et assurés.
« Et ensuite ? » La question est un électrochoc et à nouveau, une seconde, si ce n’est deux, de flottement se fait, comme si le temps venait de se mettre en pause. Le temps d’un battement de cœur loupé, puis celui-ci redémarre. Zakhar quitte son fauteuil et se met debout. D’un pas lent, serein, en apparence du moins, il vient s’installer derrière la chaise où s’est assise la bretonne, puis une fois accoudée au dossier de celle-ci, il reprend : « Admettons ; j’accepte. Je ferme les yeux et je te donne ce savoir, qu’en feras-tu ? » Cette dernière question, elle était presque soufflée à l’oreille de la jeune fille. Il s’était penché, ses lèvres à quelques millimètres de ses tympans, jetant un œil prédateur au familier pour lui signifier que s’il reste tranquille, lui-aussi ne fera rien d’inconsidéré.
Ce n’est qu’un jeu. Un petit coup de pression.
Un jeu de charme malsain, comme si Zakhar lui-même incarné toute la perversité de la magie noire et de son essence même. De belles promesses, alléchantes, mais à un prix couteux.
« Tu vas vouloir te venger ? Laver ton honneur ? Conquérir ? Créer ? Détruire ? Tu vas chercher à rendre au centuple toutes ces souffrances et toutes ces insultes que l’on t’a fait subir ? Si tel est le cas, moi qui viens de t’insulter gratuitement, ou presque, ne devrais-je pas te priver de cet enseignement pour me protéger ? J’ai très envie de le faire. J’ai très envie de me taire et puis, tu n’y seras pas perdante. Je suis certain qu’une jeune fille comme toi, qui a su tenir tête seule à une créature de la nuit, saura se débrouiller pour abreuver sa soif de connaissance, hm ? »
Sa voix était étrangement douce, voir apaisante, pour celui qui aimait l’ivresse de l’obscurité. Elle convient au calme et à la raison. À la retenue aussi, car il en faudra. À force de tuer, on développe une certaine apathie face à la mort et au danger. Si bien que cela n’est plus grisant du tout et devient un quotidien fade, macabre et désintéressant.
« Je vais te confier un petit secret ; si je déteste tellement les né-moldus, les zemlistya krov' comme on dit chez-moi, c’est parce que je ne leur fais pas confiance. Ils viennent du monde moldu, ils y ont des attaches et ils chercheront probablement à m’arrêter lorsque je me déciderais à briser les barrières. Ils sont des judas à travers une porte, laissant fuiter des informations sur nous. En soi, oui ; c’est plus une question de confiance que de discrimination. La pureté du sang, ce n’est que des conneries. Ce n’est pas ça, l’intérêt. Les sang-purs ont de l’influence. C’est ce qui les rend plus intéressants que les autres, quand on se les met dans la poche. » Le ton était à la confession, mais Zakhar laisse souffler Morwenn de sa présence. Il s’était redressé, continuait de s’accouder sur le dossier de sa chaise, mais son regard s’était fixé sur les aigles à deux têtes.
Il avait l’air pensif et dégageait une aura de méfiance. La même que celle d’un animal en alerte, prêt à bondir pour se défendre.